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Le cacao est désormais appelé l’or de la Côte d’Ivoire, laquelle tient la place de prestige de premier producteur mondial de cette matière première convoitée. Pourtant, au niveau local, le pays affronte, avec plus ou moins de réussite, différentes problématiques telles que les maladies des cacaoyers ; la déforestation massive ; le travail des enfants dans les plantations de cacao ou encore l’amélioration des revenus des producteurs et de leurs familles. En novembre 2018, Amarante a eu l’opportunité d’assister un acteur du secteur ivoirien de la finance digitale dans sa stratégie de bancariser davantage les planteurs des chaînes de valeur cacao, anacarde, coton, palmier à huile et hévéa, en leur facilitant l’accès aux services financiers et notamment, aux produits d’épargne. Une des particularités du secteur agricole est, en effet, l’éloignement des premiers maillons de la chaîne de valeur par rapport aux points d’accès financiers, les planteurs et les coopératives étant en zone rurale et souvent enclavée. Par ailleurs, du fait de la saisonnalité de leur activité et des récoltes, les planteurs doivent gérer leurs revenus pour faire face aux dépenses tout au long de l’année
La gestion des revenus face aux besoins courants des familles, mais aussi face aux imprévus, nous a conduit à nous pencher sur le cas des femmes : Quel est le rôle des femmes de planteurs de cacao dans le développement rural et communautaire ? Sont-elles contraintes à n’être que de la main-d’œuvre dans les plantations, à ramasser et vider les cabosses ? Comment contribuent-elles au revenu du foyer?
Une rencontre a permis de lever le voile sur ces questions.
Nos consultants étaient à Fadiegnan, un village près d’Abengourou, à l’est de la Côte d’Ivoire. Ils ont visité une unité de transformation artisanale de fèves de cacao, créée fin 2017, à l’initiative du chocolatier ivoirien Axel-Emmanuel Gbaou qui a déjà formé plusieurs centaines de femmes en milieu rural à la transformation du cacao. L’unité de Fadiegnan est gérée en collaboration avec la coopérative CAMAYE qui commercialise aussi une partie des produits transformés.
L’unité de production ouvre 4 jours par semaine et emploie environ 100 épouses de planteurs, divisées en 2 groupes : un premier groupe travaillant les lundis et mardis et un deuxième, les mercredis et jeudis. Le vendredi est jour de prière. Les femmes ont effectué une première formation de 4 mois à la fabrication de gâteau au chocolat, et un deuxième volet de formation de 6 mois aux techniques de transformation : le pesage, la torréfaction, le tri et la sélection des bonnes fèves, et enfin le décorticage.
Une partie des fèves décortiquées est livrée à la coopérative CAMAYE pour être transformées en poudre de cacao, en croustilles ou encore en tablettes de chocolat prêtes pour la consommation. Une autre partie est gardée au sein de l’unité pour la fabrication de beurre de cacao sur place : on plonge dans de l’eau portée à ébullition de la pâte de cacao pilée, que l’on mélange à feu doux ; lorsque le beurre se dégage à la surface, on le prélève pour le solidifier au congélateur.
Ces femmes sont payées à raison de 500 FCFA/kg de fèves triées et décortiquées, soit environ 0,87 US$/kg. La production journalière de fèves décortiquées de l’unité est estimée à 140 kg, soit un peu plus d’1 tonne par mois.
Pour l’instant, le gain pour les femmes n’est pas encore significatif. Mais la création de l’unité de transformation leur a fourni un emploi : « Ça nous a donné du travail au village et on peut s’occuper de nos enfants en même temps », dit Odette, une des femmes présentes le jour de notre visite, dès 7h30 du matin. « Cela nous a permis d’aider nos maris et d’améliorer nos revenus en plus des cultures de tomates, de choux… », déclare une autre femme du groupe.
En tout cas, bien qu’elles n’aient « pas les moyens », ces femmes veulent « aller de l’avant ». Elles déclarent même pouvoir épargner un peu. Pour améliorer le niveau de vie de leurs familles, elles pensent solliciter un prêt bancaire à hauteur de leur épargne. Et même si la plupart d’entre elles ont un compte d’argent mobile sur le téléphone, elles trouvent « l’épargne sur mobile money, pas intéressante car (…) n’a pas d’intérêts », contrairement à la banque.
Ces quelques témoignages montrent la volonté des femmes, déterminées à améliorer leur niveau de vie. De plus en plus, elles ont l’ambition d’envoyer leurs enfants à l’école, d’épargner pour assurer leur avenir. De leur côté, les fournisseurs de services financiers ne comptent pas leurs efforts pour une meilleure inclusion financière des planteurs en général, et de leurs femmes en particulier : les sensibiliser à la nécessité d’épargner pendant les campagnes de récolte pour couvrir tous leurs besoins avant les prochaines récoltes.
Axel-Emmanuel et les femmes de ce village montrent la voie qui doit être suivie par la Côte d’Ivoire : assurer de plus en plus la transformation localement pour améliorer les recettes d’exportation et le niveau de vie des villageois. La place des femmes à Fadiegnan est le meilleur exemple de ce que pourrait être la place de leurs sœurs ivoiriennes.