Quel avenir pour le crowdfunding dans la zone UEMOA ?

Quel avenir pour le crowdfunding dans la zone UEMOA ?

by Antonia Bassène, Senior Consultant

Les premières expériences de crowdfunding telles que nous le connaissons aujourd’hui, remontent au début de la décennie 2010. Depuis, les business model et les plateformes ont évolué et le recours au financement participatif s’est répandu dans le monde entier.

Le principe du financement participatif existe cependant depuis bien plus longtemps. A titre d’exemple, la Statue de la Liberté, offerte par la France aux États-Unis, a été financée par un appel à souscription publique en 1875. Plus proche de nous, en Afrique, les peuples utilisent le financement participatif depuis des décennies sous une de ses formes simplifiées qu’est la tontine.

Le crowdfunding est défini comme un mécanisme qui a pour objectif de collecter les apports financiers d’un grand nombre de personnes physiques et morales dans le but de financer un projet. Le financement des projets s’articule autour de trois modes : le don avec ou sans contrepartie, le prêt rémunéré ou pas (crowdlending), l’investissement dans le capital de l’entreprise (crowdequity).

L’écosystème du financement participatif est cependant marqué par une disparité d’implantation géographique des initiatives. Selon une étude de Papernest, les États-Unis arrivent en tête de liste avec 59% des sommes collectées mondialement en 2021. L’Europe est en deuxième position (34% des sommes collectées) tirée par le Royaume-Uni.

En Afrique, l’intérêt est de plus en plus croissant pour ce type de financement. Le cabinet de statistiques et d’études de marché Statista, estime qu’en 2021, la valeur des transactions mondiales dans le secteur du financement participatif atteindra 1 milliard de USD dont 209 millions USD réalisés en Afrique.

De nombreuses initiatives d’implantation de plateforme de financement participatif sont à noter en Afrique avec plus ou moins de succès. L’Afrique de l’Est, le Kenya en particulier, est leader dans le développement du crowdfunding, porté certainement par son dynamisme en matière d’accès aux services financiers mobiles. L’Afrique du Sud et le Nigéria sortent également du lot, avec la mise en œuvre progressive d’une réglementation spécifique au financement participatif.

Les porteurs de projet africains n’ont cependant pas attendu l’implantation de plateformes de crowdfunding dans leur pays pour y recourir. En effet, certains opérateurs de plateforme basés en Europe adressent déjà des acteurs africains (demandeurs de financement ou investisseurs) dont l’intérêt est en continuelle croissance compte tenu des difficultés d’accès au financement rencontrées via les moyens classiques (emprunts auprès des institutions financières).

La zone UEMOA n’échappe pas aux constats énoncés plus haut.

Les populations de la zone UEMOA ont recours au financement participatif par don essentiellement via des plateformes basées le plus souvent en Europe (Leetchi, Kwendoo, …). Il s’agit le plus souvent de cagnottes pour financer des projets personnels, sociaux, humanitaires. Les startups et PME commencent également à avoir recours au crowdfunding pour lancer ou développer une activité. Cependant, les modes d’investissement proposés sont le don et le prêt, le crowdequity nécessitant un soubassement juridique et règlementaire solide et dédié.

Dès 2012, des entrepreneurs ont tenté de lancer des plateformes de crowdfunding dans la zone monétaire CFA (XOF) avec plus ou moins de succès. Parmi elles, citons Iroko Project au Sénégal, Orange Collecte en Côte d’Ivoire, Bay Seddo au Sénégal.

Ces expériences ne se sont malheureusement pas révélées fructueuses à l’exception nuancée de Orange Collecte qui utilisait l’infrastructure de Orange Money et dont les services existent toujours mais ne sont plus utilisés.

Les raisons principales de ces expériences avortées sont :

  • L’absence de cadre juridique et réglementaire spécifique. Les opérateurs sont obligés de trouver des solutions de contournement aux problématiques de collecte de l’épargne et de gestion des crédits dont l’exercice est réservé aux établissements financiers agréés par le régulateur, en l’occurrence la BCEAO. Ces solutions consistent généralement en un partenariat avec une institution financière ;
  • Le manque de confiance des cibles (porteurs de projets et investisseurs) qui découle en partie du point précédent. Le manque d’encadrement du secteur du crowdfunding suscite des réticences qui limitent de fait les sommes collectées et n’incitent pas à recourir à cette alternative de financement.
  • Le positionnement à cheval entre le produit financier et un produit philanthropique. Cela est à l’origine d’une déperdition dans le public visé en raison de la difficulté à susciter l’enthousiasme pour les projets soumis ;
  • La concurrence des produits financiers et d’épargne classiques éprouvés et performants.

Le financement participatif, à l’instar de ce qui est observé ailleurs, a cependant de l’avenir en Afrique et dans la zone UEMOA en particulier. Le besoin est avéré surtout pour certaines catégories de porteurs de projet à l’image des startups, des jeunes entrepreneurs ou encore des agriculteurs qui ne sont, souvent, pas en mesure de fournir les garanties requises pour bénéficier d’un crédit auprès des établissements bancaires ou des institutions de microfinance. Du reste, ces dernières pratiquent des taux d’emprunt jugés excessifs.

Nous développons ci-après quelques idées qui pourraient contribuer au développement de crowdfunding dans cette zone spécifique.

  • La mise en place d’un cadre règlementaire spécifique et adéquat à ce secteur.

Des réflexions ont été lancées par la BCEAO face au constat des initiatives déjà menées et de l’utilisation croissante du crowdfunding.

Attention cependant à ne pas tomber dans le piège de l’encadrement trop strict de cette activité comme cela a été le cas au Nigéria où l’adoption, en 2021, de nouvelles règles précisant les critères d’exploitation des plateformes de crowdfunding a conduit à l’arrêt des activités de financement participatif de la plateforme Farmcrowdy.

  • L’appui au développement et à l’expansion des services financiers digitaux via le mobile money, la digitalisation des services bancaires, le développement de solutions d’agrégation de moyens de paiement.

Cela permettra de placer le financement participatif au plus près des populations (même celles n’ayant pas accès aux services bancaires classiques) et d’en faciliter l’abord et l’utilisation.

  • L’éducation financière des populations et des entrepreneurs en particulier, de quelques secteurs qu’ils soient en incluant bien entendu le financement participatif au type de financements possibles de leurs activités et projets.

Le crowdfunding a, à n’en pas douter, un bel avenir en Afrique.

Tout comme son dynamisme est désormais reconnu en matière de promotion et de développement de l’inclusion financière et des services digitaux, la zone UEMOA saura relever le défi de la mise en conformité de ses règlements pour permettre l’essor de ce mode de financement alternatif.

Antonia Bassène